23 sept. 2019

Musiques du futur

Comment les films présentant un monde futuriste sont-ils parvenus à imaginer la musique qui y serait produite ? Non pas la bande originale, illustrative et extra-diégétique, mais celle que les personnages peuvent expérimenter.


Seth Mulliken, de l'université de Caroline du Nord, s'est intéressé à la « futurisation », le processus par le temps futur est connoté par le contenu et les éléments formels du cinéma de science fiction. Finalement, de faible occurrence sur écran, ces objets soniques imaginaires doivent à la fois être reconnaissables et familiers pour être perçus comme une progression de l'histoire de la musique, mais avec un élément de mystère, une altérité, pour les rendre plausibles comme venant d'un autre temps.

Depuis les années 50, la pop music incorpore des sonorités électriques puis synthétiques qui paraissent stéréotypiquement futuristes aux oreilles modernes à différents degrés selon les décennies.

Une musique contemporaine, cool ou juvénile, avec des timbres distordus ou des bruits électroniques aléatoires, comme ce concert pop en 2062 chez les Jetsons (1962) :


Dans les années 70 ou 80, les salles de concerts sont remplacées par les discothèques ou autres lieux de danse. La musique de leurs futurs y est volontiers collective et fortement synthétique, soutenue par des néons et des vêtements plus que clinquants. Ici le rituel spectaculaire de régulation de la population en 2274 dans Logan's Run (1976) :


Socialement, culturellement et politiquement, le rock'n'roll a toujours été un agent pour le changement, davantage le moyen d'accéder au futur plutôt que le son qui s'y trouverait. Sa principale fonction dans les films du milieu des 80 était d'identifier les innovateurs comme des rebelles marginaux et excentriques, plutôt prompts à s'amuser qu'à être un des rouages ternes du système.

Le modernisme populaire cher à Mark Fisher et Simon Reynolds fut « animé par la commune conviction que la musique pouvait et devait changer le monde ». Dans Bill and Ted's Excellent Adventure (1989), cette croyance est poussée dans sa logique extrême car le rock impressionne des personnages historiques du passé mais surtout créera une société utopique au XXVIIème siècle, sans pollution, guerre et pauvreté. La composition qu'écriront les deux héros et qui sera le fondement de cet âge d'or n'y est pas dévoilée.


Inversement, le futur post-apocalyptique « 45 ans après mercredi prochain » de Mad Max: Fury Road (2015) n'utilise le rock que pour son côté sauvage et violent. Au sein du convoi des belliqueux opposants, se trouve un véhicule de guerre construit pour abriter des batteurs, un mur d'enceintes et un guitariste heavy galvanisant les troupes.  La rencontre du stoner rock et de l'esthétique dieselpunk.


Le cyberpunk quant à lui a tout de suite embrassé l'électronique, et les mondes virtuels dans les années 90 ont naturellement été technoïdes. La musique y est aussi un bricolage mutant : un agrégat postmoderne comme dans ce club en 2021 dans Johnny Mnemonic (1995) où un chanteur lyrique se produit sur des rythmes techno-métalliques.


Cette idée de collage se retrouve également sous la forme d'un mix dancefloor d'air d'opéra en 2263 dans The Fifth Element (1997).


L'IDM permit d'introduire encore plus facilement l'altérité nécessaire au futurisme, avec une collection aléatoire et apparemment non-musicale de notes et rythmes indansables. Dans le 2027 dystopique et stérile de Children of Men (2006), Jasper, un des rebelles, qualifie ironiquement de zen un morceau avec tambours et hurlement maltraité par un DJ (en réalité un remix d'un titre d'Aphex Twin).


L'empressement moderniste à l'innovation s'achève en déconstruction inécoutable dans le futur très proche de Steak (2007) où Blaise est incapable d'accéder à une nouvelle tendance musicale à cause d'une disruption provoquée par plusieurs années d'enfermement.


L'étrangeté d'une musique futuriste est souvent mise en évidence par un voyageur du temps, quasi contemporain du spectateur, dont la candeur permet de mesurer le décalage avec ses habitudes d'écoute.

Dans Demolition Man (1993), John Spartan décongelé en 2032 découvre une station de radio rétro diffusant des "microtunes" : des jingles publicitaires populaires du milieu du siècle précédent, à la fois ridicules et effrayants.


Qui dit futur dit aussi nouvelle technologie. Dans Futurama (2001), Philip J. Fry apprend à jouer d'un instrument de l'an 3000 appelé "holophonor" : une sorte de clarinette d'inspiration asimovienne, capable de remplacer un orchestre entier et de générer des séries d'images. Le fonctionnement de ce dispositif n'est pas explicité, lui conférant ainsi un aura très abstraite et quasi magique.


Et dans le futur reaganien utopique du 2015 de Back To The Future 2 (1989), le café hommage aux années 80 est « un de ces endroits nostalgiques qui n'ont pas été très bien faits », dixit Doc Brown. Car si le futur offre le progrès, le coup d'œil en arrière est plus que dispensable.


Sources / pour aller plus loin

Seth Mulliken, Ambiant Reverberations : Diegetic Music, Science Fiction, and Otherness (2010)
Cynthia J. Miller & A. Bowdoin Van Riper, It's Hip to be Square : Rock and Roll and the Future (2010)
Agnès Gayraud, Dialectique de la pop (2018)

TV Tropes, Future Music

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