21 nov. 2023

Métamodernisme

Note sur le changement culturel le plus important de ce millénaire. Et de sa pénétration au cinéma.

Pour la génération élevées dans les années 80 et 90, avec les Simpsons et South Park, l’ironie et cynisme postmodernes furent les paramètres culturels par défaut, conduisant à un refus des prises de position, une esquive de la responsabilité de choix esthétiques, politiques ou autres.

Films déconstruits avec des récits qui semblent générés aléatoirement ou des vastes blagues ne nécessitant aucune résolution d'intrigue. Du contenu pour plateformes de streaming.

Cependant, sur la dernière décennie, un nouveau style de films décalés, par Spike Jonze, Michel Gondry, Wes Anderson, Alejandro González Iñárritu ou Yórgos Lánthimos, employèrent des stratégies postmodernes (distanciation, emphase sur la conscience de soi, métafiction) non pas pour célébrer le cynisme, l'apathie et la désillusions, mais plutôt pour exposer des sentiments et des connexions sincères, un enthousiasme constructif et une soif de sens.

On parle alors de « métamodernisme » pour nommer ce post-postmodernisme.

Luke Turner dans son manifeste du mouvement (2011) parlait de « synthèse scientifique-poétique », de « naïveté éclairée d'une réalisme magique » ou encore de « romantisme pragmatique ».

Alors que le postmodernisme était caractérisé par la déconstruction, l’ironie, le pastiche, le relativisme, le nihilisme et le rejet des grands récits (pour le caricaturer quelque peu), le métamodernisme, s’engage dans la résurgence de la sincérité, de l’espoir, du romantisme, de l’affect et des vérités universelle, sans pour autant renoncer à tout ce que nous avons appris du postmodernisme.

Des contradictions est sortie une synthèse qualitativement très différente incluant l’audace de la modernité et la nuance de la postmodernité.

Rick and Morty (Dan Harmon & Justin Roiland, depuis 2013) est métamoderne dans sa façon de subvertir les attentes des archétypes. Plus la série avance, plus Rick Sanchez (génie cynique hyper-conscience de lui-même et de son environnement) fait preuve de sincérité tant moralement qu’émotionnellement. Il en est de même pour le reste de sa famille qui ne demeure pas des identités statiques et immuables mais qui évoluent. Même les péripéties les plus improbables ont des conséquences dans les saisons suivantes, créant ainsi une authenticité et une fiabilité.


Inside (2021) de Bo Burnham est un bon exemple de « sincérité ironique » métamoderne. Pour le comédien musicien la conscience réflexive n'est jamais une fin en soi, mais sert à l’émergence de quelque chose de vraiment honnête, une vulnérabilité et une responsabilité morale plus profonde et assumée : « self-awareness does not absolve anybody of anything ».

Everything Everywhere All at Once (Daniel Kwan & Daniel Scheinert, 2022) est un pastiche sans fin de culture pop et de référence cinématographique. Mais le jeu constant sur les tropes sert avant tout l'histoire, pour mieux y inviter le spectateur et le confronter à une représentation sincère de sentiments. Et le nihilisme face aux multiples réalités offertes par le monde contemporain (le thème du film) est dépassé par une humilité épistémique et un plus grand optimisme face à la réalité.

Sources / pour aller plus loin :

Luke Turner, Metamodernism: A Brief Introduction (2015)
Amp Lab Media, Rick and Morty : Character Archetypes & Metamodernism (2017)
The Living Philosophy, What is Metamodernism (2022)
Thomas Flight, Why do movies feel so different now? (2023)
Brendan Graham Dempsey, After Postmodernism (2019-2023)

7 sept. 2022

Hayao Miyazaki, éco-communisme & féminisme

Caricaturé en papy écolo poète, Hayao Miyazaki est loin d'être un consensuel tiède et son œuvre en est bien plus profonde.


A y voir de plus près, il ne propose jamais une opposition manichéenne hommes/nature, mais plutôt une réelle dialectique. Les films montrent les actions humaines sur l'environnement et également les effets de la nature sur les personnages. Les deux mondes restent entremêlés et interdépendants et peuvent, selon les conditions, autant se révéler destructeurs ou merveilleux.

On pense souvent que la nature et le gens sont séparés. Mais je crois qu'il ne le sont pas. La nature fait partie des gens.
La condamnation simpliste est rapidement dépassée pour évoquer les conséquence sur l'humanité elle-même, un évitable effondrement apocalyptique et surtout les possibilités d'un après.

Ce serait merveilleux de voir la fin de la civilisation de mon vivant. Mais ça a l'air peu probable. C'est pour ça que j'utilise mon imagination pour voir ce que ça donnerait. (…) Ce genre d'inondation est un désastre. Mais en de pareilles circonstances, je pense que les gens deviennent plus bienveillants les uns avec les autres. Ils pensent devoir sauver les personnes en danger. Ils deviennent de meilleures personnes.
Sous ses mises en formes fabuleuses et poétiques, le cinéma de Miyazaki reste profondément matérialiste. Les univers décrits sont ancrés dans une matérialité tangible avec un fonctionnement et une logique, ses machines, ses écosystèmes et surtout des quotidiens où le travail est omniprésent.


Miyazaki revendique un héritage marxiste et syndicaliste. Ses personnages se réalisent au sein d'une collectivité faite des prolétaires fiers, travailleurs et solidaires.

Lors d'interviews, il fustige les conservateurs du gouvernement nippon, appelle à des révolutions, parle de mise en commun et propriété collective des moyens de production, et souhaite un socialisme démocratique.
Même aujourd’hui, je reste sensible à cette façon de penser qui est profondément ancrée en moi. D’ailleurs, il est intéressant de remarquer que cette identité de gauche est restée assez puissante dans ma génération, y compris chez Ghibli, où nous sommes quelques-uns dans ce cas. J’aspire toujours au fond de moi à une société plus juste, et je reste influencé par l’idéal communiste formulé par Marx, même si je n’ai bien sûr aucune affinité avec les expériences de socialisme réel menées dans l’ex-URSS ou ailleurs.
Avec son camarade et ami feu Isao Takahata, ils partageaient un engagement ayant fait de Ghibli un studio où les conditions sociales étaient plutôt radicales pour l'archipel.
Je crois qu'une entreprise est la propriété commune des personnes qui y travaillent.
Miyazaki est aussi clairement féministe. Convaincu que les sociétés valorisant les femmes réussissent mieux, ses protagonistes féminines cherchent à comprendre et résoudre les conflits, une disposition, pour lui nécessaire à la pacification du monde.

Le cinéaste donne vie à des femmes qui vont à l'encontre des clichés du cinéma d'animation : des personnages complexes et ambivalents, parfois anti-héroïnes et avec une largesse de représentations : guerrières, ordinaires, jeunes, vieilles, mères ou filles.

Beaucoup de mes films comportent des personnages féminins forts. Des filles courageuses et indépendantes. Elles auront peut être besoin d’un ami, ou d’un soutien, mais en aucun cas d’un sauveur. Les femmes sont capables d’être de vrais héros, tout autant que les hommes.
Certaines embrassent des caractéristiques considérées comme « viriles » tout en conservant des valeurs de compassion, de tolérance et de respect. L’humaine peut être à la fois forte et bienveillante.


Avec ses films vus par un certain public éduqué comme sources de capital symbolique à opposer aux productions de l'empire aux grandes oreilles, Hayao Miyazaki est finalement bien l'antithèse de ce bon vieux Walter E. Disney, du moins politiquement.

Source / pour approfondir

Jean-Samuel Kriegk, Tombeau pour Takahata (2018)
Bolchegeek, La face cachée de Miyazaki (2019)

24 mars 2021

Instrumentarium

Petite note incluant des instruments insolites mais aux sonorités familières des cinéphiles, tous deux utilisés pour des ambiances étranges ou inquiétantes. 

Le thérémine, inventé par l'ingénieur russe Leon Theremin dans les années 20, est l'ancêtre des instruments électroniques. Une antenne pour les fréquences et une autre pour le volume pour un son légèrement dissonant entre scie musicale et voix de tête.


Dans des thrillers et des films noirs pour souligner la déstabilisation d'un personnage, mais surtout dans la SF atomique des fifties pour évoquer l'inconnu et l'altérité.





Le waterphone, inventé par le peintre et sculpteur américain Richard Waters dans les années 60, est une sorte de fusion entre le tambour d'eau tibétain et le kalimba. Un résonateur rempli d'eau et des tiges en bronze à frotter ou frapper pour des textures inharmoniques et réverbérées.


Dans des thrillers et des films d'enquête pour jouer sur le mystère et le suspense, mais surtout dans le fantastique et l'horreur pour amplifier le malaise ou la peur face à l'extraordinaire.




23 sept. 2019

Musiques du futur

Comment les films présentant un monde futuriste sont-ils parvenus à imaginer la musique qui y serait produite ? Non pas la bande originale, illustrative et extra-diégétique, mais celle que les personnages peuvent expérimenter.


Seth Mulliken, de l'université de Caroline du Nord, s'est intéressé à la « futurisation », le processus par le temps futur est connoté par le contenu et les éléments formels du cinéma de science fiction. Finalement, de faible occurrence sur écran, ces objets soniques imaginaires doivent à la fois être reconnaissables et familiers pour être perçus comme une progression de l'histoire de la musique, mais avec un élément de mystère, une altérité, pour les rendre plausibles comme venant d'un autre temps.

Depuis les années 50, la pop music incorpore des sonorités électriques puis synthétiques qui paraissent stéréotypiquement futuristes aux oreilles modernes à différents degrés selon les décennies.

Une musique contemporaine, cool ou juvénile, avec des timbres distordus ou des bruits électroniques aléatoires, comme ce concert pop en 2062 chez les Jetsons (1962) :


Dans les années 70 ou 80, les salles de concerts sont remplacées par les discothèques ou autres lieux de danse. La musique de leurs futurs y est volontiers collective et fortement synthétique, soutenue par des néons et des vêtements plus que clinquants. Ici le rituel spectaculaire de régulation de la population en 2274 dans Logan's Run (1976) :


Socialement, culturellement et politiquement, le rock'n'roll a toujours été un agent pour le changement, davantage le moyen d'accéder au futur plutôt que le son qui s'y trouverait. Sa principale fonction dans les films du milieu des 80 était d'identifier les innovateurs comme des rebelles marginaux et excentriques, plutôt prompts à s'amuser qu'à être un des rouages ternes du système.

Le modernisme populaire cher à Mark Fisher et Simon Reynolds fut « animé par la commune conviction que la musique pouvait et devait changer le monde ». Dans Bill and Ted's Excellent Adventure (1989), cette croyance est poussée dans sa logique extrême car le rock impressionne des personnages historiques du passé mais surtout créera une société utopique au XXVIIème siècle, sans pollution, guerre et pauvreté. La composition qu'écriront les deux héros et qui sera le fondement de cet âge d'or n'y est pas dévoilée.


Inversement, le futur post-apocalyptique « 45 ans après mercredi prochain » de Mad Max: Fury Road (2015) n'utilise le rock que pour son côté sauvage et violent. Au sein du convoi des belliqueux opposants, se trouve un véhicule de guerre construit pour abriter des batteurs, un mur d'enceintes et un guitariste heavy galvanisant les troupes.  La rencontre du stoner rock et de l'esthétique dieselpunk.


Le cyberpunk quant à lui a tout de suite embrassé l'électronique, et les mondes virtuels dans les années 90 ont naturellement été technoïdes. La musique y est aussi un bricolage mutant : un agrégat postmoderne comme dans ce club en 2021 dans Johnny Mnemonic (1995) où un chanteur lyrique se produit sur des rythmes techno-métalliques.


Cette idée de collage se retrouve également sous la forme d'un mix dancefloor d'air d'opéra en 2263 dans The Fifth Element (1997).


L'IDM permit d'introduire encore plus facilement l'altérité nécessaire au futurisme, avec une collection aléatoire et apparemment non-musicale de notes et rythmes indansables. Dans le 2027 dystopique et stérile de Children of Men (2006), Jasper, un des rebelles, qualifie ironiquement de zen un morceau avec tambours et hurlement maltraité par un DJ (en réalité un remix d'un titre d'Aphex Twin).


L'empressement moderniste à l'innovation s'achève en déconstruction inécoutable dans le futur très proche de Steak (2007) où Blaise est incapable d'accéder à une nouvelle tendance musicale à cause d'une disruption provoquée par plusieurs années d'enfermement.


L'étrangeté d'une musique futuriste est souvent mise en évidence par un voyageur du temps, quasi contemporain du spectateur, dont la candeur permet de mesurer le décalage avec ses habitudes d'écoute.

Dans Demolition Man (1993), John Spartan décongelé en 2032 découvre une station de radio rétro diffusant des "microtunes" : des jingles publicitaires populaires du milieu du siècle précédent, à la fois ridicules et effrayants.


Qui dit futur dit aussi nouvelle technologie. Dans Futurama (2001), Philip J. Fry apprend à jouer d'un instrument de l'an 3000 appelé "holophonor" : une sorte de clarinette d'inspiration asimovienne, capable de remplacer un orchestre entier et de générer des séries d'images. Le fonctionnement de ce dispositif n'est pas explicité, lui conférant ainsi un aura très abstraite et quasi magique.


Et dans le futur reaganien utopique du 2015 de Back To The Future 2 (1989), le café hommage aux années 80 est « un de ces endroits nostalgiques qui n'ont pas été très bien faits », dixit Doc Brown. Car si le futur offre le progrès, le coup d'œil en arrière est plus que dispensable.


Sources / pour aller plus loin

Seth Mulliken, Ambiant Reverberations : Diegetic Music, Science Fiction, and Otherness (2010)
Cynthia J. Miller & A. Bowdoin Van Riper, It's Hip to be Square : Rock and Roll and the Future (2010)
Agnès Gayraud, Dialectique de la pop (2018)

TV Tropes, Future Music

5 déc. 2018

Matrix = Marx it

Depuis sa sortie en 1999, le premier volet de la trilogie des Wachowski a été sujet à nombreuses lectures, invoquant par exemple Simulacres et Simulation de Baudrillard, les Méditations métaphysiques de Descartes ou l'allégorie de la caverne de Platon. Mais il semble plus que probable qu'il s'agisse d'une vulgarisation pop des théories de Marx & Engels.


Thomas Anderson est un travailleur lambda, employé de bureau et hacker, la nuit venue, sous le pseudonyme de Neo. Contacté par d'autres cyber-délinquants, il découvre que le monde qu'il connait n'est qu'une interface virtuelle - la Matrice - créé par des machines pour contrôler l'humanité qu'elles cultivent pour en tirer de l'énergie.


Nous avons ainsi donc la présentation d'une société avec, chose rare dans un film de science-fiction ou dystopique, l'exposition d'un système de production au sein d'un récit parlant de dévoilement.

Les champs d'êtres humains et la captation de l'électricité produite par leur corps indispensable pour le fonctionnement des machines constituent donc l'infrastructure de cette société, c'est-à-dire le rapport social réel entre les classes au sein du système produisant ses conditions matérielles d'existence. La Matrice se retrouvant être alors l'incarnation de sa superstructure, c'est-à-dire les médias et les arts qui diffusent l'idéologie de la classe dominante pour s'assurer la bonne reproduction sociale. La distinction entre réalité et les apparences est donc calquée sur la distinction marxiste entre science et idéologie.


La vérité ici étant la réalité objective de la production basée sur une exploitation. Une fois déconnecté de la Matrice, celle-ci n'est plus qu'un code. Le peuple est aliéné et seule la connaissance de la réalité production et la maîtrise de l'idéologie la masquant lui permet d'échapper au système et d'atteindre son véritable potentiel. Dans le film, cela permet aux personnages de défier les lois physiques de la simulation et d'y développer des capacités extraordinaires.


Les auteurs soulignent également l'importance essentielle du choix de l'individu, prendre la pilule rouge comme Neo ou reprendre la bleue comme Cypher. Le filet mignon mangé par ce dernier renvoyant au fétiche de la marchandise.


A noter également que toute personne qui n'a pas été déconnectée de la Matrice est potentiellement un agent, c'est-à-dire un élément du système travaillant à son hégémonie et à la contention des intellectuels issus organiquement de la classe opprimée. Le film montre également, au moyen de métaphores et de symbolismes, des moyens de soumission plus répressifs. Comme par exemple, lors de la scène de l'interrogatoire, la perte physique de la capacité de parler ; soit le musellement de la résistance.

Les déjà vus et bugs dans la Matrice révèlent la discontinuité narrative et les contradictions dans la propagande résultant de changements qui selon des nécessités ponctuelles peuvent parfois être incompatibles avec les récits précédents.


A la fin du métrage, Neo alerte les machines que ce qu'elles craignent le plus arrive : la prise de conscience de la masse de leur caractère parasitaire et le début d'une révolution.



Sources / pour aller plus loin
Anthony @ Tutorhunt, Philosophy, Marx And The Matrix (2014)
Sociologeek #2 - Matrix et la socialisation (2016)
Kasey McDonnell, Marxism and the Matrix (2016)

11 nov. 2018

John Carpenter & anarchie

John Carpenter est un anticonformiste, dont les films font une part belle aux critiques des pouvoirs politiques et religieux.


Le cinéma de genre progressiste des 70s considérait que l'étrangeté, la menace et l'extériorité absolues n'existent pas en soi. Le « mal » a toujours une origine sociale. Carpenter s'est rapidement placé en rupture avec tout ça, avec une vision d'un mal souvent intérieur, se déshumanisant et allant vers l'abstrait. Le mal pur comme dans Assault on Precinct 13 avec l'altérité parfaite de ses assaillants ou dans Halloween via la figure blanche de Michael Myers, puissance de mort intraitable.


Le héros carpentérien est proche du héros hawksien : totalement individualiste. Snake Plissken dans Escape from New York, la figure emblématique de son cinéma, est un maverick réfractaire à toute forme d'autorité.
Il symbolise surtout la liberté totale sans entrave, sans la moindre contrainte sociale. Il se fiche de tuer, de secourir des gens. Il est terriblement mauvais, terriblement innocent. Rien ne peut le changer, c'est un incorruptible. Tout ce qu'il désire, c'est vivre soixante secondes de plus. Il n'aime pas qu'on lui dise ce qu'il doit faire, ce qu'il doit considérer comme bien ou mal. Pas plus que Kurt Russel ou moi d'ailleurs.

Quand ils doivent collaborer, ses personnages ne doivent alors leur salut qu'au respect d'un code d'honneur strict, basé sur le courage, la loyauté et la confiance.

Dans le contexte socio-politique de la fin des années 80, ère reaganienne profondément inégalitaire où la plupart des œuvres promeuvent le libéralisme et les yuppies, sort They Live. Nous y découvrons la domination d'une minorité sur une population reléguée à l'état de pauvreté. Les élites à la solde d'envahisseurs (journalistes, forces de police, hommes politiques) utilisant les médias et la publicité pour diffuser des messages incitant à l'apathie et au consumérisme. John Nada se soulève alors pour qu'une classe moyenne, complice et consentante malgré elle, découvre le déclassement qui s'abat sur elle.
En gros le monde est corrompu et ça ne se voit même pas. C'était gênant mais j'avais l'intention d'agacer. C'était amusant, également, de prendre comme héros un gars de la classe ouvrière qui se retrouve perdu dans les rues de cette grande ville. Les gens sont habitués à avoir en face d'eux des héros cool, pleins au as, bref pas des « rien du tout ». Or moi, j'ai voulu dire aux producteurs hollywoodiens d'aller se faire voir. C'est pourquoi j'ai décidé de prendre mon héros dans le milieu des mecs de la rue, des travailleurs. Ce personnage représente le point de vue et l'opinion des déracinés.
(…)
Il y a des thèmes abordés dans They Live, mais on ne peut pas parler de message. Les messages, c'est ce qu'on laisse sur les répondeurs.

Escape from New York apparaissait moins comme un film politisé qu'une fable sur le futur de son pays. Dans sa suite, Escape from LA, le réalisateur règle également ses comptes avec Hollywood et décrit une Amérique totalitaire, en proie à la folie biblique et à la facilité du politiquement correct.
Ce n'est pas l'humanité que Snake Plissken détruit, mais la technologie. La technologie qui nous façonne, nous transforme en consommateurs-moutons. Nous devenons tous les esclaves de la technologie, comme certains de l'apparence. (…) Plus que de servir la soupe aux Républicains ou aux Démocrates, Escape From LA dit tout simplement que le pays abandonne actuellement la liberté au profit de l'ordre. Un pas de plus vers le fascisme. Notre société se trompe, se berce d'illusions.
Bien qu'intéressé par la représentation des masses défavorisées, Carpenter ne donnent pas le beau rôle au lumpenprolétariat : le gang de Assault on Precinct 13 est traité comme un masse de zombies échappée de Night of the Living Dead ; les prisonniers d'Escape From New York comme les sujets d'un despote ; les mendiants de Prince of Darkness comme les pantins d'une force démoniaque.


L'extrême majorité de ses films sont des néo-westerns fantastiques ou de science-fiction. Il y met souvent l'accent sur le fait que son pays a été bâti sur les cadavres d'innocents. Dans The Fog, des fantômes de marins lépreux, envoyés à la mort après une trahison dictée la cupidité de pères fondateurs, crient vengeance. Et dans Ghost of Mars, un propos particulièrement acerbe vis-à-vis de la période colonialiste se reflète dans le désir de la tribu martienne de récupérer ses terres en versant le premier sang.



Profondément viscéral et humaniste sous des airs de cynique et dur, Big John est convaincu que l'humanité n'est pas partagée par tous les humains. Jean-Baptiste Thoret le décrit comme un libertarien, anarchiste peut-être mais alors de droite, ne croyant ni dans un corps constitué, ni dans la patrie et l'ordre, mais se revendiquant capitaliste et fier d'une certaine image classique de l'Amérique.

Mais à vouloir à la fois être aimé et envoyer balader le système, il semble avoir baissé les bras, fatigué de lutter contre les studios pour imposer sa vision, marginale et entière, violente et sincère.

En France, je suis un auteur
En Allemagne, je suis un cinéaste.
En Grande Bretagne, je suis un réalisateur de film d'horreur.
Aux Etats-Unis, je suis un clodo


Sources / pour aller plus loin
Mad Movies H-S #01, Carpenter (2001)
Pendant Les Travaux, le Cinéma Reste Ouvert, Avons-nous oublié John Carpenter ? (2013)
Jean-Baptiste Thoret, Master Class Carpenter (2014)
NoCiné, John Carpenter (2015)
NoCiné, John Carpenter (2018)