7 sept. 2022

Hayao Miyazaki, éco-communisme & féminisme

Caricaturé en papy écolo poète, Hayao Miyazaki est loin d'être un consensuel tiède et son œuvre en est bien plus profonde.


A y voir de plus près, il ne propose jamais une opposition manichéenne hommes/nature, mais plutôt une réelle dialectique. Les films montrent les actions humaines sur l'environnement et également les effets de la nature sur les personnages. Les deux mondes restent entremêlés et interdépendants et peuvent, selon les conditions, autant se révéler destructeurs ou merveilleux.

On pense souvent que la nature et le gens sont séparés. Mais je crois qu'il ne le sont pas. La nature fait partie des gens.
La condamnation simpliste est rapidement dépassée pour évoquer les conséquence sur l'humanité elle-même, un évitable effondrement apocalyptique et surtout les possibilités d'un après.

Ce serait merveilleux de voir la fin de la civilisation de mon vivant. Mais ça a l'air peu probable. C'est pour ça que j'utilise mon imagination pour voir ce que ça donnerait. (…) Ce genre d'inondation est un désastre. Mais en de pareilles circonstances, je pense que les gens deviennent plus bienveillants les uns avec les autres. Ils pensent devoir sauver les personnes en danger. Ils deviennent de meilleures personnes.
Sous ses mises en formes fabuleuses et poétiques, le cinéma de Miyazaki reste profondément matérialiste. Les univers décrits sont ancrés dans une matérialité tangible avec un fonctionnement et une logique, ses machines, ses écosystèmes et surtout des quotidiens où le travail est omniprésent.


Miyazaki revendique un héritage marxiste et syndicaliste. Ses personnages se réalisent au sein d'une collectivité faite des prolétaires fiers, travailleurs et solidaires.

Lors d'interviews, il fustige les conservateurs du gouvernement nippon, appelle à des révolutions, parle de mise en commun et propriété collective des moyens de production, et souhaite un socialisme démocratique.
Même aujourd’hui, je reste sensible à cette façon de penser qui est profondément ancrée en moi. D’ailleurs, il est intéressant de remarquer que cette identité de gauche est restée assez puissante dans ma génération, y compris chez Ghibli, où nous sommes quelques-uns dans ce cas. J’aspire toujours au fond de moi à une société plus juste, et je reste influencé par l’idéal communiste formulé par Marx, même si je n’ai bien sûr aucune affinité avec les expériences de socialisme réel menées dans l’ex-URSS ou ailleurs.
Avec son camarade et ami feu Isao Takahata, ils partageaient un engagement ayant fait de Ghibli un studio où les conditions sociales étaient plutôt radicales pour l'archipel.
Je crois qu'une entreprise est la propriété commune des personnes qui y travaillent.
Miyazaki est aussi clairement féministe. Convaincu que les sociétés valorisant les femmes réussissent mieux, ses protagonistes féminines cherchent à comprendre et résoudre les conflits, une disposition, pour lui nécessaire à la pacification du monde.

Le cinéaste donne vie à des femmes qui vont à l'encontre des clichés du cinéma d'animation : des personnages complexes et ambivalents, parfois anti-héroïnes et avec une largesse de représentations : guerrières, ordinaires, jeunes, vieilles, mères ou filles.

Beaucoup de mes films comportent des personnages féminins forts. Des filles courageuses et indépendantes. Elles auront peut être besoin d’un ami, ou d’un soutien, mais en aucun cas d’un sauveur. Les femmes sont capables d’être de vrais héros, tout autant que les hommes.
Certaines embrassent des caractéristiques considérées comme « viriles » tout en conservant des valeurs de compassion, de tolérance et de respect. L’humaine peut être à la fois forte et bienveillante.


Avec ses films vus par un certain public éduqué comme sources de capital symbolique à opposer aux productions de l'empire aux grandes oreilles, Hayao Miyazaki est finalement bien l'antithèse de ce bon vieux Walter E. Disney, du moins politiquement.

Source / pour approfondir

Jean-Samuel Kriegk, Tombeau pour Takahata (2018)
Bolchegeek, La face cachée de Miyazaki (2019)