11 nov. 2018

John Carpenter & anarchie

John Carpenter est un anticonformiste, dont les films font une part belle aux critiques des pouvoirs politiques et religieux.


Le cinéma de genre progressiste des 70s considérait que l'étrangeté, la menace et l'extériorité absolues n'existent pas en soi. Le « mal » a toujours une origine sociale. Carpenter s'est rapidement placé en rupture avec tout ça, avec une vision d'un mal souvent intérieur, se déshumanisant et allant vers l'abstrait. Le mal pur comme dans Assault on Precinct 13 avec l'altérité parfaite de ses assaillants ou dans Halloween via la figure blanche de Michael Myers, puissance de mort intraitable.


Le héros carpentérien est proche du héros hawksien : totalement individualiste. Snake Plissken dans Escape from New York, la figure emblématique de son cinéma, est un maverick réfractaire à toute forme d'autorité.
Il symbolise surtout la liberté totale sans entrave, sans la moindre contrainte sociale. Il se fiche de tuer, de secourir des gens. Il est terriblement mauvais, terriblement innocent. Rien ne peut le changer, c'est un incorruptible. Tout ce qu'il désire, c'est vivre soixante secondes de plus. Il n'aime pas qu'on lui dise ce qu'il doit faire, ce qu'il doit considérer comme bien ou mal. Pas plus que Kurt Russel ou moi d'ailleurs.

Quand ils doivent collaborer, ses personnages ne doivent alors leur salut qu'au respect d'un code d'honneur strict, basé sur le courage, la loyauté et la confiance.

Dans le contexte socio-politique de la fin des années 80, ère reaganienne profondément inégalitaire où la plupart des œuvres promeuvent le libéralisme et les yuppies, sort They Live. Nous y découvrons la domination d'une minorité sur une population reléguée à l'état de pauvreté. Les élites à la solde d'envahisseurs (journalistes, forces de police, hommes politiques) utilisant les médias et la publicité pour diffuser des messages incitant à l'apathie et au consumérisme. John Nada se soulève alors pour qu'une classe moyenne, complice et consentante malgré elle, découvre le déclassement qui s'abat sur elle.
En gros le monde est corrompu et ça ne se voit même pas. C'était gênant mais j'avais l'intention d'agacer. C'était amusant, également, de prendre comme héros un gars de la classe ouvrière qui se retrouve perdu dans les rues de cette grande ville. Les gens sont habitués à avoir en face d'eux des héros cool, pleins au as, bref pas des « rien du tout ». Or moi, j'ai voulu dire aux producteurs hollywoodiens d'aller se faire voir. C'est pourquoi j'ai décidé de prendre mon héros dans le milieu des mecs de la rue, des travailleurs. Ce personnage représente le point de vue et l'opinion des déracinés.
(…)
Il y a des thèmes abordés dans They Live, mais on ne peut pas parler de message. Les messages, c'est ce qu'on laisse sur les répondeurs.

Escape from New York apparaissait moins comme un film politisé qu'une fable sur le futur de son pays. Dans sa suite, Escape from LA, le réalisateur règle également ses comptes avec Hollywood et décrit une Amérique totalitaire, en proie à la folie biblique et à la facilité du politiquement correct.
Ce n'est pas l'humanité que Snake Plissken détruit, mais la technologie. La technologie qui nous façonne, nous transforme en consommateurs-moutons. Nous devenons tous les esclaves de la technologie, comme certains de l'apparence. (…) Plus que de servir la soupe aux Républicains ou aux Démocrates, Escape From LA dit tout simplement que le pays abandonne actuellement la liberté au profit de l'ordre. Un pas de plus vers le fascisme. Notre société se trompe, se berce d'illusions.
Bien qu'intéressé par la représentation des masses défavorisées, Carpenter ne donnent pas le beau rôle au lumpenprolétariat : le gang de Assault on Precinct 13 est traité comme un masse de zombies échappée de Night of the Living Dead ; les prisonniers d'Escape From New York comme les sujets d'un despote ; les mendiants de Prince of Darkness comme les pantins d'une force démoniaque.


L'extrême majorité de ses films sont des néo-westerns fantastiques ou de science-fiction. Il y met souvent l'accent sur le fait que son pays a été bâti sur les cadavres d'innocents. Dans The Fog, des fantômes de marins lépreux, envoyés à la mort après une trahison dictée la cupidité de pères fondateurs, crient vengeance. Et dans Ghost of Mars, un propos particulièrement acerbe vis-à-vis de la période colonialiste se reflète dans le désir de la tribu martienne de récupérer ses terres en versant le premier sang.



Profondément viscéral et humaniste sous des airs de cynique et dur, Big John est convaincu que l'humanité n'est pas partagée par tous les humains. Jean-Baptiste Thoret le décrit comme un libertarien, anarchiste peut-être mais alors de droite, ne croyant ni dans un corps constitué, ni dans la patrie et l'ordre, mais se revendiquant capitaliste et fier d'une certaine image classique de l'Amérique.

Mais à vouloir à la fois être aimé et envoyer balader le système, il semble avoir baissé les bras, fatigué de lutter contre les studios pour imposer sa vision, marginale et entière, violente et sincère.

En France, je suis un auteur
En Allemagne, je suis un cinéaste.
En Grande Bretagne, je suis un réalisateur de film d'horreur.
Aux Etats-Unis, je suis un clodo


Sources / pour aller plus loin
Mad Movies H-S #01, Carpenter (2001)
Pendant Les Travaux, le Cinéma Reste Ouvert, Avons-nous oublié John Carpenter ? (2013)
Jean-Baptiste Thoret, Master Class Carpenter (2014)
NoCiné, John Carpenter (2015)
NoCiné, John Carpenter (2018)